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CONJONCTURE
2 avril 2004

L'aveuglement libéral,30 mars 2004 Le

L'aveuglement libéral,30 mars 2004

Le gouvernement Raffarin a été victime d'un aveuglement libéral. Cette cécité politique est fondée sur un postulat non vérifié, sur un dogmatisme arrogant et sur une dose exceptionnelle d'incompétence dans la mise en oeuvre d'une stratégie instable.

L'aveuglement libéral est né à la fin des années soixante-dix quand, sous l'influence des théoriciens de l'école ce Chicago, Reagan et Thatcher ont récusé l'Etat-providence et le keynesianisme pour placer la stabilité monétaire et l'intérêt prioritaire des actionnaires au centre de toute stratégie économique. Après l'effondrement de l'URSS et l'extinction du modèle communiste comme alternative possible, le pari des "reaganomics" est devenu une assertion sans réfutation rationnelle. Il en est résulté, dès la fin des années quatre-vingt-dix, un postulat inédit: le Progrès n'est plus l'apanage du Socialisme; le Progrès est porté par le Libéralisme. Les partis de droite sont désormais progressistes et, donc, les partis de gauche incarnent l'immobilisme. Ce postulat est révolutionnaire dans la mesure où il renverse complètement l'assimilation historique "Progrès = socialisme = gauche et Conservatisme (immobilisme) = libéralisme = droite". Mais ce postulat n'est pas scientifiquement vérifié pour la simple raison que le contenu du Progrès a changé de sens en passant du socialisme au libéralisme et de gauche à droite. Pour les libéraux français, le Progrès c'est l'adaptation de l'économie française à l'évolution du monde tel qu'il est, c'est à dire dominé par le libéralisme. Or, sil est désormais démontré que le modèle communiste n'était pas progressiste pour la simple raison qu'il n'était pas viable, il n'est pas prouvé que le modèle libéral ait un contenu progressiste plus viable.

Cette incertitude sur la validité de la nouvelle croyance n'a pas empêché les droites européennes, française et espagnole notamment, de proclamer que le socialisme - en fait: la sociale-démocratie - était devenu synonyme d'immobilisme et de régression par rapport à un monde libéral incarnant le mouvement vers le Progrès. L'aveuglement provoqué par ce dogme a été aggravé, au sein de la droite libérale française, par la certitude que la gauche électoralement défaite en avril 2002 serait neutralisée pour de longues années au niveau des hommes, mais surtout au niveau des idées. Le libéralisme pouvait agir sans entraves.

En voulant faire la démonstration que le libéralisme est désormais plus progressiste que la sociale-démocratie, le gouvernement Raffarin a provoqué dans le salariat une exaspération qui s'est manifestée dans les rues à partir de l'hiver 2003 puis dans les urnes les 21 et 28 mars 2004.

Pour avoir voulu rattraper le temps que les socialistes auraient fait perdre à la France entre 1997 et 2002, le gouvernement Raffarin a multiplié les mesures rarement pertinentes qui ont brouillé ce que son message libéral pouvait avoir, éventuellement, de progressiste.

Tout a commencé à l'automne 2002 avec la suppression des emplois-jeunes qui a "estomaqué" tout le monde, y compris dans l'électorat de droite, parce que le dispositif conciliait une rélle efficacité au niveau de l'insertion professionnelle avec la portée hautement symbolique d'une attitude d'accueil à l'égard des générations montantes. La suppression des emplois-jeunes a produit l'effet d'une porte brutalement claquée au nez de jeunes qui veulent entrer dans la vie active et que le gouvernement renvoie directement dans la précarité. Cette première manifestation d'aveuglement libéral a été d'autant moins comprise que le retour à la solution de l'allègement des charges des entreprises pour favoriser l'embauche n'a rien donné.

Par la suite, les maladresses de ce genre se sont multipliées. Sur l'aide aux étudiants, sur les allocations aux femmes seules élevant un enfant, sur l'allocation spécifique de solidarité et sur la rupture unilatéral du contrat moral passé avec les salariés à la recherche d'un emploi. En sorte que le libéralisme est rapidement apparu comme indifférent aux conséquences humaines de ses réformes.

Le discours de Jean-Pierre Raffarin sur "la France d'en bas" avait été vidé de toute substance et de toute crédibilité avant que ne commence l'année 2003 dominée par une défiance croissante entre gouvernés et gouvernants. La confrontation avec le monde enseignant et la réforme des retraites ont été deux exemples d'aveuglement gouvernemental progressivement ressenti comme du mépris teinté de sournoiserie. L'impression a été donnée que le dialogue social était une mascarade juste bonne à habiller les décisions déjà prises. La CFDT, qui était disposée à dialoguer avec le gouvernement libéral, a été discréditée et les enseignants ont été inutilement humiliés par un pouvoir hautain. Le MEDEF, qui n'a jamais cessé d'en rajouter dans la provocation idéologique, a accentué le sentiment d'insécurité dans le salariat tandis que les allègements d'impôts et les "cadeaux" consentis aux entreprises donnaient le sentiment que la France était dirigée par un "gouvernement de classe".

Cette stratégie de la réforme libérale aveugle a été interrompue par le résultat des élections régionales et cantonales. L'agenda comportait pour le 8 avril l'examen parlementaire de la "punition" infligée aux Français après la canicule de l'été 2003: un jour de travail en plus. Les syndicats et les salariés savaient déjà que la réforme de la Sécurité sociale allait être réalisée en trompe-l'oeil puisque le recours annoncé aux ordonnances signife que les décisions sont prises avant même l'ouverture de la concertation.

Le vote du 28 mars exprime peut-être moins le refus d'aller plus loin, non pas dans les réformes, mais cette façon de réformer. Le libéralisme aveugle est d'autant moins supportaple qu'il tarde à apporter la preuve de son efficience. En 2003, tous les indicateurs conjoncturels - dette, déficits, prélèvements obligatoires, création nette d'emplois - sont passés au rouge. Seul le montant des dividendes versés aux actionnaires a augmenté.

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